L’administration Trump, par la voix de son secrétaire d’État Marco Rubio, a annoncé qu’elle ne prendra pas de sanctions contre les organisations non gouvernementales (ONG) opérant en Haïti qui versent des droits de passage aux groupes armés pour acheminer de l’aide humanitaire. Cette décision, annoncée devant le Congrès américain, soulève des questions cruciales sur les limites de l’humanitaire face à la réalité du contrôle territorial exercé par les gangs en Haïti.

DES ONG PRISES EN ÉTAU ENTRE URGENCE HUMANITAIRE ET RÉALITÉ MILITAIRE

Depuis l’effondrement progressif de l’État haïtien et l’extension du contrôle des gangs armés sur de larges portions du territoire, notamment à Port-au-Prince et sur les principaux axes logistiques, de nombreuses ONG internationales et locales se retrouvent dans l’obligation de “négocier” leur accès. Cela inclut, de manière informelle mais documentée, le paiement de droits de passage sous forme de cash ou de ressources détournées.

Ce système, bien que critiqué, est souvent présenté par les humanitaires comme le seul moyen de continuer à faire circuler l’aide : médicaments, nourriture, eau, abris, etc.

LA POSITION AMÉRICAINE : PRAGMATISME OU DÉMISSION MORALE ?

Interrogé par des membres du Congrès inquiets de voir des ONG financer indirectement des groupes criminels, Marco Rubio a défendu la position de l’exécutif américain :

“Nous ne sanctionnerons pas les ONG qui paient pour acheminer l’aide. Ce n’est pas un choix, c’est une nécessité logistique dans un environnement de non-droit. Notre priorité reste que l’aide atteigne ceux qui en ont besoin.”

Rubio a ajouté que “toute sanction aurait pour seul effet de couper les vivres aux populations les plus vulnérables” et qu’un “examen de chaque cas est en cours pour éviter les abus, mais pas pour criminaliser l’opération humanitaire”.

DIVERGENCES ENTRE CONGRÈS, ONG ET OBSERVATEURS

Les réactions à cette déclaration n’ont pas tardé. Certains membres du Congrès, notamment dans le camp démocrate, estiment que cela revient à normaliser l’économie mafieuse des gangs. La représentante Alexandria Ocasio-Cortez a déclaré :

“Nous comprenons l’urgence humanitaire, mais tolérer des paiements aux gangs sans encadrement crée un précédent dangereux.”

Du côté des ONG, la déclaration de Rubio a été reçue avec un mélange de soulagement et de prudence. Un responsable de Médecins Sans Frontières à Port-au-Prince confie, sous anonymat :

“C’est un aveu de faiblesse stratégique, mais un soutien tactique bienvenu. Nous ne pouvons pas fonctionner autrement pour l’instant.”

LE POIDS D’HAÏTI DANS LA POLITIQUE DE LA CARAÏBE

Pour Washington, Haïti représente à la fois une menace sécuritaire (instabilité, migrations, narcotrafic) et une vitrine de l’influence régionale. En évitant les sanctions, l’administration Trump cherche à préserver un fragile réseau d’ONG comme substitut à l’État haïtien, tout en évitant une vague de critiques sur l’inefficacité de sa politique régionale.

LE COÛT DE L’ACCOMMODEMENT

• Selon un rapport confidentiel de l’ONU, près de 70 % des convois humanitaires doivent négocier un passage “payant”.

• Le coût moyen estimé de ces paiements varie entre 500 et 2 000 dollars US par convoi, selon la zone.

• À ce jour, aucune ONG n’a été formellement poursuivie pour avoir payé des groupes armés en Haïti.

UN CHOIX ENTRE DEUX FAILLITES

En refusant de sanctionner les ONG contraintes de traiter avec les gangs, les États-Unis admettent que, face à l’effondrement de l’État haïtien, la diplomatie humanitaire supplante la légalité stricte. Ce choix pragmatique, voire cynique, illustre les dilemmes permanents de l’action internationale dans des zones grises où le bien et le mal ne sont plus des absolus mais des arbitrages opérationnels.

Jean Dalens SEVERE