
Depuis plus de cinq décennies, Shoubou assume un rôle que peu d’artistes haïtiens ont eu à porter : être la voix principale, parfois la seule, d’un groupe mythique dont l’héritage dépasse la musique pour toucher l’identité culturelle du pays. Alors que les appels au rajeunissement se multiplient, son parcours éclaire une réalité plus complexe que les critiques répétées.
Fondé le 28 août 1968 à Pétion-Ville, Tabou Combo a bâti sa réputation sur la discipline, la constance et une vision musicale rigoureuse. Au fil des années, Roger Montfort Eugène, dit Shoubou, est devenu la figure vocale centrale du groupe, ce qui a façonné autant sa trajectoire que la perception du public. Toutefois, les tentatives pour intégrer de nouveaux chanteurs se sont souvent heurtées à des départs rapides, alimentant des accusations d’égoïsme et de résistance au changement. Il importe cependant de rappeler que ces départs n’ont jamais été clarifiés publiquement par les acteurs concernés, ce qui appelle à la prudence dans l’interprétation des faits.
Ensuite, replacer Shoubou dans son parcours permet d’apporter un éclairage plus équilibré. Entré très tôt dans l’aventure Tabou Combo, il s’est imposé par sa présence scénique, sa capacité d’adaptation et son endurance remarquable dans un secteur où les carrières longues sont rares. Son rôle s’est progressivement renforcé, notamment après plusieurs changements de membres, ce qui a fait de lui le visage vocal le plus stable du groupe. Ainsi, sa centralité n’est pas seulement le résultat d’un choix personnel, mais aussi d’un contexte historique, d’exigences artistiques et de circonstances qui ont consolidé sa position.
Par ailleurs, la question du renouvellement dépasse largement la seule figure de Shoubou. Le compas, comme beaucoup de genres traditionnels caribéens, traverse un moment charnière où il doit séduire un public plus jeune sans perdre son identité. Les attentes envers Tabou Combo sont donc colossales : préserver un son reconnu internationalement tout en intégrant des sensibilités contemporaines. Dans cette perspective, la présence d’une voix emblématique peut être perçue à la fois comme une force, parce qu’elle maintient une cohérence et comme une contrainte, parce qu’elle freine les tentatives d’évolution rapide.
De plus, il serait réducteur de limiter l’analyse à la personnalité du chanteur. Les jeunes artistes passés brièvement dans Tabou Combo ont aussi dû composer avec des exigences musicales élevées, une structure historique très hiérarchisée et un rythme de travail intensif, conditions qui ne correspondent pas toujours aux dynamiques actuelles de l’industrie musicale haïtienne. Ce contexte aide à comprendre pourquoi certains talents n’y restent pas longtemps, indépendamment de la volonté ou non de Shoubou.
Enfin, le parcours de Shoubou jusqu’à aujourd’hui montre une constance rare : une voix restée fidèle au compas traditionnel, un engagement continu malgré les critiques, et une présence scénique qui, encore récemment, témoigne d’un attachement sincère à la mission culturelle du groupe. Reconnu autant pour son charisme que pour sa longévité, il incarne la mémoire de Tabou Combo tout en portant la responsabilité de son avenir, un équilibre qui expliquerait la prudence dont il fait parfois preuve face aux propositions de changement.
En conclusion, les critiques visant Shoubou doivent être placées dans un cadre plus large où se confrontent tradition, transition et attentes intergénérationnelles. Loin des simplifications, son parcours illustre la complexité de maintenir vivant un groupe légendaire tout en tentant de l’ouvrir à de nouveaux visages. S’il reste encore des questions sur la manière dont Tabou Combo opérera son renouvellement, un fait demeure : la voix de Shoubou n’est pas seulement celle d’un chanteur, mais celle d’un héritage qu’il tente, tant bien que mal, de préserver sans trahir son essence.
Brinia ELMINIS






































