
Le Compas haïtien inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO
Le Compas haïtien vient tout juste de franchir une étape que beaucoup attendaient sans oser y croire: il est désormais inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO. Une reconnaissance internationale, certes, mais surtout un moment de vérité pour un pays qui, depuis des décennies, porte ce rythme comme on porte une histoire familiale. Né en 1955, sous la direction presque obstinée du saxophoniste Nemours Jean-Baptiste, lors de sa grande performance publique sur la place Saint-Anne à Port-au-Prince, le Compas n’était pas destiné à devenir un monument. Il voulait simplement faire danser. Mais très vite, les percussions ont dépassé les salles de bals, les guitares ont traversé les frontières, et les cuivres ont pris une teinte nouvelle, comme si cette musique avait compris qu’elle devait accompagner son peuple partout, dans les rues, dans les exils, dans les reconstructions et même dans les silences.
Ce qui frappe aujourd’hui, avec cette inscription, c’est la manière dont elle replace Haïti au centre d’un récit qu’on oublie souvent de raconter: celui d’un pays créatif, généreux, bruyant, passionné, un pays qui invente même quand il manque de tout. Dans les communautés haïtiennes de Miami, Montréal, Paris ou Santiago, la nouvelle a circulé comme un courant électrique. Beaucoup ont souri, d’autres ont pleuré un peu. Parce que derrière cette décision de l’UNESCO, il y a des décennies de bals poussiéreux, de studios bricolés, de répétitions tardives, de musiciens qui n’ont pas toujours été payés mais qui sont quand même venus jouer. Il y a des chansons qui ont bercé les dimanches, des refrains entêtants qui ont suivi les départs à l’aéroport, des concerts qui ont tenu debout un public fatigué de la vie.
Bien sûr, cette reconnaissance ouvre des portes, mais elle oblige aussi. Car, préserver le Compas, ce n’est pas seulement enregistrer de vieux disques ou créer une archive numérique. C’est comprendre d’où vient ce rythme, comment il a grandi, ce qu’il a donné au pays, mais aussi ce qu’il exige de nous aujourd’hui: de la transmission, de l’organisation, de la place pour les jeunes, de la mémoire pour les anciens, un espace où toutes les générations puissent se répondre. Parce qu’en fin de compte, le Compas ne s’est jamais figé; il s’est transformé, sans perdre son langage ni son élégance, et c’est probablement ce qui le rend si universel.
Haïti, malgré l’insécurité et ses blessures encore ouvertes, sait faire naître quelque chose de beau, de vibrant, d’indestructible. Le Compas entre dans le patrimoine immatériel de l’humanité, oui, mais il reste d’abord le battement de cœur d’un peuple qui refuse d’abandonner sa joie. Une joie parfois fragile, mais toujours debout. Une joie qui danse même quand rien ne va.
Et peut-être est-ce précisément pour cela que le monde le reconnaît enfin.
Cynthia MAXI





































