Depuis plus de 24 heures, le cadavre d’une femme repose au sol, à Delmas 32, tout près du complexe Delimart. Ce mercredi 4 juin 2025, rien n’a changé. Le corps est toujours là, étendu sur le bitume. Pas de ruban de sécurité. Pas d’agents municipaux. Pas de police. Aucun service d’urgence. Seuls les klaxons des motos, les pas pressés des passants, et les marchands concentrés sur leur quotidien accompagnent cette image insoutenable. Une femme morte, ignorée de tous.
Les témoignages, en particulier ceux des chauffeurs de taxi-moto, sont glaçants. Le corps serait là depuis mardi matin. La mairie, dirigée par Wilson Jeudi, n’a pris aucune disposition. La police non plus. Et ce silence, cette inertie, ne choquent même plus. Delmas s’est habituée à la mort comme si elle était un élément du mobilier urbain.
Ce n’est pas un simple fait divers. C’est une photographie brute d’une société qui a perdu tout sens du respect, de la vie comme de la mort. Dans une commune aussi dense, stratégique, emblématique, laisser un corps à la vue de tous pendant deux jours, sans identification, sans protection, sans humanité, est une insulte à la dignité humaine. Cette femme est morte seule, mais c’est le système tout entier qui l’a tué : un système qui n’assure ni sécurité, ni secours, ni même les derniers respects.
Et que dire de la réaction des citoyens ? Ou plutôt, de leur absence de réaction. Personne ne s’arrête. Personne ne proteste. L’habitude de l’horreur a étouffé l’indignation. Cette femme devient le miroir de notre résignation collective. À force de vivre dans un état de négligence totale, les Haïtiens désapprennent à se choquer. Et cette passivité, ce silence, sont la preuve d’une déshumanisation galopante.
Wilson Jeudi, en tant que maire, porte une responsabilité directe. Laisser un drame public se dérouler sous ses fenêtres sans réagir, c’est cautionner l’inhumain. Ce n’est pas une incompétence technique, c’est une faillite morale. Quand une ville ne peut plus enterrer ses morts, elle cesse d’être une société.
Jusqu’à quand allons-nous contourner les cadavres comme on évite une flaque ? Jusqu’à quand allons-nous permettre à des autorités inertes de gouverner nos vies, et nos morts ?
Ce corps à Delmas 32 n’est pas une exception. Il est devenu le symbole d’un pays où l’on meurt sans bruit, sans justice, sans mémoire.
Jean Dalens SEVERE