Il n’y a pas eu de grandes annonces à la télévision. Pas de promesses politiques tonitruantes. Et pourtant, depuis quelques années, un mouvement s’installe tranquillement dans le paysage haïtien. Son nom ? Gwoup Konbit. À première vue, rien de spectaculaire. Mais lorsqu’on s’y attarde, on comprend qu’il s’agit d’un véritable levier de reconstruction sociale. Un de ces rares espaces où les mots comme « solidarité », « engagement » et « responsabilité » ne sont pas juste des slogans, mais des pratiques quotidiennes.
L’initiative a vu le jour en 2021, dans la continuité du projet Konbit Solèy Leve, né lui-même en 2011 dans les rues de Cité Soleil. L’idée de départ est simple : reprendre l’esprit du konbit traditionnel; ce système communautaire où les voisins unissent leurs forces pour labourer un champ, construire une maison, ou traverser une épreuve et le traduire en un modèle d’action sociale moderne. Depuis, chaque année, Gwoup Konbit réunit des jeunes, des femmes, des leaders communautaires, des entrepreneurs et des membres de la diaspora pour un grand atelier national. Un espace de réflexion, d’apprentissage mutuel, mais surtout, de mise en action.
D’année en année, l’ampleur du mouvement surprend. En 2022, l’atelier a réuni une cinquantaine de personnes. En juin 2025, ils étaient plus de 250, venus de tout le pays, à se rassembler à l’hôtel KARIBE, à Pétion-Ville autour du thème : “Ann Aplike Valè ak Prensip Konbit yo”. Dans un pays souvent paralysé par l’instabilité, voir autant de citoyens mobilisés volontairement autour de valeurs comme le respect, le travail en équipe et la confiance mutuelle relève presque du miracle.
Mais ce n’est pas seulement une question de rencontres et de discours. Gwoup Konbit agit. Par le biais de son Fonds Konbit Haïtien, l’organisation soutient financièrement des projets concrets portés par des groupes de jeunes ou des collectifs locaux. En 2023, par exemple, elle a remis un don d’un peu plus d’un million de gourdes au comité citoyen de Ouanaminthe pour soutenir la construction du canal sur la rivière Massacre. Ce genre de geste envoie un signal fort : la société civile peut s’organiser, mobiliser des ressources, et contribuer à des projets structurants, sans passer par les circuits traditionnels ou politisés.
L’édition 2025 de l’atelier a aussi marqué un tournant dans la façon dont le mouvement communique. Cette année, Gwoup Konbit a lancé le Digital Konbit Award, une récompense destinée à encourager les projets citoyens qui utilisent les outils numériques pour renforcer l’engagement communautaire. Une manière intelligente de relier la tradition du konbit à la réalité d’aujourd’hui. La même édition a également vu la remise de la douzième distinction Prime for Change (Prim Pou Chanjman), attribuée à des jeunes haïtiens engagés dans leurs communautés.
Au fil des éditions, ce qui frappe, c’est l’attention portée à l’humain. Ici, pas de hiérarchies pesantes. Chacun est invité à contribuer, avec ses idées, son énergie, ses outils. Le mouvement s’appuie sur des personnes très diverses, dont certaines sont connues pour leur action sur le terrain : Louino Robillard, Mélodie Benjamin, Chad Bissonnette, pour ne citer qu’eux. Mais il ne repose sur aucun “gourou”, aucun “leader charismatique” unique. Et c’est peut-être ce qui fait sa force.
Alors que l’Haïti officielle donne souvent le sentiment d’un pays figé, Gwoup Konbit avance. Doucement. Par petits groupes. Par projets locaux. Avec prudence, mais avec constance. Ce n’est pas un modèle venu de l’extérieur. Ce n’est pas un programme imposé. C’est un mouvement enraciné, né des besoins réels, et porté par des gens ordinaires qui refusent de se résigner.
Aujourd’hui, à l’heure où tant de structures vacillent, Gwoup Konbit nous rappelle que les solutions durables viennent rarement d’en haut, mais presque toujours de la base. Pas avec des millions, mais avec des bras, des cœurs, et une idée simple : seul on va vite, ensemble on va loin.
Rédaction : MAXI Cynthia
